La Veuve Rouge
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La Veuve Rouge
Ceci est le BG de Raya Dastel, une Réprouvée guerrière, môman d'Elvyra donc. Je ne savais pas trop où mettre ce texte donc il échoue là ._.
Enjoyr =D
**********
Le corps gisait, brisé et sans vie, sur les récifs.
L’imposant Phare de Gilnéas, loin au dessus du cadavre, semblait être un inaccessible Eden. Au sommet de l’édifice, dominant la scène de son regard d’émeraude, un homme reste immobile.
Il pleure.
~¤~
« Dis, Jen, on en fait quoi de celle-là. »
« Bah, on la ramène ! C’te question ! »
« Mais elle est cassée de partout ! »
« On s’en branle ! Le commandeur à dit de ramener tous les cadavres que l’on trouverait en Gilnéas. Ca, c’est un cadavre, ici, c’est Gilnéas donc, on embarque ! »
~¤~
Je me souviens d’une chambre chaude, aux draps éternellement froissés, avec des tableaux érotiques accrochés aux murs comme pour indiquer l’ambiance qui régnait chaque nuit dans cette pièce. Une odeur entêtante d’encens et de sueur mêlés, des vêtements éparpillés sur le parquet vernis, et moi toujours nue, étendue sur le lit. Tous les moments clés de ma vie s‘étaient déroulés là, dans cet espace confiné.
Les bons moments, les mauvais, les joies et les peines, les regrets et les remords, les doutes et les certitudes.
Cette simple chambre, la mienne, celle où je vivais et où je travaillais. J’étais ce que les gens de la haute société appellent une fille de petite vertu, une traînée ou tout bonnement une catin.
J’avais commencé à faire le tapin vers 15 ans, quand mes formes m’avaient permises d’attirer le regard des hommes. Beaucoup de femmes ignorent pourquoi elles se livrent ainsi. J’étais ainsi, parfaitement consciente de la vie que je menais tout en étant incapable de m’y arracher. Je ne me considérais pas comme une dépravée ni comme une pécheresse et c’est pour cela que je priais. Lorsque l’argent obtenu sur le trottoir ne servait pas à m’entretenir, il entretenait la Cathédrale de Gilnéas et ses fidèles. Bien évidemment, le prêtre n’appréciait guère de recevoir un argent si mal acquis mais, l’or restant de l’or, il l’encaissait volontiers.
La Lumière ne m’a jamais tiré de la rue, en revanche, elle me guida vers quelque chose de plus intense que la prière et la foi.
~¤~
La première chose qu’elle vît fut un être hideux qui ressemblait plus à un cadavre ambulant qu’à un être humain. Des bouts de peaux noirâtres avaient été assemblés, au hasard, sans aucun respect de l’esthétique ou de la logique, le tout retenu par des lanières de cuir usées.
« Bolgod, écarte-toi voyons, laisse-la demoiselle respirer ! »
La créature disparue de son champ de vision, remplacée par une consœur bien moins reluisante. Vêtue d’une robe d’apothicaire et tenant une multitude de fioles aux couleurs criardes entre les mains, l’immondice se pencha sur elle.
« Il semblerait que les Val’kyrs aient fait du bon boulot, une fois de plus. »
Elle secoua la tête, perplexe, et entendit un étrange cliquetis osseux lorsqu’elle remua les jambes. Interloquée, elle baissa les yeux sur ce qui était un corps humain.
Autrefois.
La chair avait totalement disparue, ne laissant que l’os blanc. Squelette animé par une volonté qui avait bravée la Mort elle-même, elle contempla avec stupéfaction ce qui restait de son corps. Ce corps dont elle avait été si fière et qui avait été la source même de son bonheur, était à présent une coquille vide, sans âme ni attrait.
Instinctivement, sa main tâta son visage, en dessinant les contours osseux et couturés. Son faciès avait subi le même sort funeste que le reste de son corps, même son opulente chevelure noire était devenue une crinière hirsute infâme.
« Qu’est… qu’est-ce qui m’est arrivé, où suis-je ? »
Même sa voix avait changée, elle était devenue froide et dure comme la pierre.
« Et bien… vous êtes morte. Mais, vous avez été ramenée à la vie ! Bon, certes, on n’a pas encore réussit à faire en sorte que les gens renaissent en chair et en os mais on avance. Sinon, vous êtes à Fossoyeuse, dans la cité de la Dame Noire et de ses Réprouvés. »
La tête bourdonnante, elle s’allongea à nouveau. Morte ? Vraiment ? Mais depuis combien de temps… et comment, déjà ?
« Quel est votre nom, au fait ? J’en ai un tas noté dans mon registre mais j’ignore lequel est le vôtre. »
« Raya Dastel. »
« Dastel… Dastel… Ah ! J’ai trouvé ! Morte à Gilnéas, tuée la veille de l’attaque réprouvée, poignardée et jetée du haut du Phare – visiblement, on ne voulait pas rater son coup, hein ! D’après les informations que nous disposons à votre sujet, vous étiez une ancienne prostituée –bouarf, classique, on a ramassé une bande de proxénètes hier, ça doit être des potes à vous – orpheline et célibataire. Bon, ben, vous avez rien loupée de la vie ! Le meilleur arrive pour vous. »
L’apothicaire referma son livre avant d’aider Raya à se relever et à se tenir en équilibre. Retrouver le contact glacé du sol lui procura un léger frisson d’appréhension. Par la Lumière, comment pouvait-elle tenir encore debout alors qu’elle était censée être morte ? Elle remua bras et jambes, remarquant que son poignet droit était nu, tout comme le reste de son corps.
« Où est mon bracelet ? »
« Votre quoi ? »
« Mon bracelet. Je le porte toujours sur moi. »
« Nous avons laissé toutes vos affaires à Gilnéas, nous n’emportons que les corps. Pourquoi, il était si précieux ? »
« J’en ai besoin pour… pour prier. »
« Prier ? S’éclaffa l’apothicaire. Ma foi, laissez les prières aux Prêtres, nous avons besoin de guerriers en ce moment. Allez savoir pourquoi, mais la majorité de nos nouvelles recrues deviennent des Voleurs ou des Démonistes. Ils doivent penser que ça colle avec notre apparence cadavérique. »
~¤~
J’avais dix-neuf ans lorsque ma route croisa celle de Tybalt.
L’une de mes connaissances me le présenta le soir de son anniversaire, en « cadeau ». D’après les rumeurs, sa famille se donnait l’image d’une lignée respectable et honorée alors qu’elle croupissait dans la misère et la crasse depuis des générations. Pour avoir vu sa mère faire le tapin quelques soirs, je savais d’avance que ses tenues élégantes et son allure raffinée ne cachaient que vices et tromperies.
C’est peut-être pour cela que je suis tombée amoureuse de lui.
C’était un menteur invétéré, un voleur des bas-fonds doublé d’un manipulateur hors-pair, un beau salaud oui. Il était ainsi avec les autres, c’est de cette manière qu’il se protégeait, lui et sa famille, il faisait des magouilles à droit à gauche pour pouvoir leur donner de quoi manger. Je me souviens que notre première rencontre s’était soldée par une dispute. Je le trouvais faux, il me trouvait superficielle. On était fait l’un pour l’autre, en somme.
Il me fallut des mois pour comprendre le double jeu mené par Tybalt et encore plus pour le convaincre de se livrer à moi, corps et âme. Il me parlait de son père qui noyait sa misère dans l’alcool, de sa mère qui faisait le tapin et de son frère cadet qui refusait de voir que sa propre famille était un nid à enflures. Quant à moi, je parlais peu. J’avais une qualité assez rare : celle de rarement regretter mes actes, même manqués. Si je faisais un choix, je m’y tenais et je ne me plaignais pas, je vivais toujours avec cette maxime : cueille les roses de la vie et conserve chaque pétale comme un cadeau.
J’étais une catin, une profiteuse, une garce aussi peut-être, mais mon existence était certainement moins fade que celle des gens qui cherchent sans cesse à se donner bonne conscience.
~¤~
La cité de Fossoyeuse, fourmilière macabre, était le point de ralliement des Réprouvés, le centre d’attraction de cette armée de morts et de damnés que Sylvanas Coursevent, la Dame Noire, tenait d’une main de fer. Chaque nouveau jour voyait se lever d’autres combattants venus rejoindre ses rangs. Fléau sombre et implacable, cette nation était aux yeux de Raya bien plus effrayante que les peuples Orcs.
Du moins, avant qu’elle-même ne devienne l’une des leurs.
Les premiers jours de sa « vie », elle était restée prostrée, ébahie devant ce qui semblait être un miracle. Ou bien une malédiction. Un état des plus naturels, selon l’apothicaire –Tyrion – qui s’était chargé de son intégration dans les forces des Réprouvés. Bon nombre de ceux qui se réveillaient devenaient fous en découvrant ce qu’ils étaient devenus et d’autres refusaient catégoriquement de rejoindre Sylvanas, si bien qu’ils erraient, sans but, dans les Clairières de Tirisfal. Trois jours durant, la gilnéenne n’avait prononcé mot, observant seulement ces squelettes animés qui ne se souciaient guère de sa présence. A l’aube du quatrième jour, elle s’était levé et avait saisit l’épée en acier trempé qui gisait à ses pieds avant de se rendre auprès de Tyrion.
« Apprenez-moi à me battre et je servirais la Dame Noire. »
Durant les mois qui suivirent, elle fut initiée aux arts de la guerre et du combat, compensant son manque de connaissances en la matière par son obstination et sa rage. Elle qui n’avait été qu’une prostituée dans sa vie d’antan était devenue une combattante prometteuse, destinée à faire partie des rangs d’une armée de morts-vivants.
« Pourquoi te bas-tu ? »
« Parce que je viens de renaître, alors que j’aurais dû mourir. C’est une chance. »
« Te souviens-tu de ta mort ? »
« J’ai été poignardée et jetée du haut du Phare de Gilnéas. »
« Jures-tu fidélité à notre Reine, Dame Sylvanas ? »
« Je jure. »
« Brandiras-tu ta lame pour elle et pour les Réprouvés ? »
« Oui. »
« Dis-moi qui était ton assassin. »
« L’homme que j’aimais. »
~¤~
La vie que je menais avec Tybalt ressemblait à un cours d’eau tumultueux. Tantôt calme et doux, tantôt furieux et révolté mais qui finissait toujours par nous emporter tout deux dans ses vagues. Nous pouvions passer des nuits à nous parler sans s’arrêter pour nous détester cordialement le lendemain, mais cela n’allait jamais au-delà. Pas de coups, pas d’insultes, juste un amour trop puissant pour être tempéré.
Jusqu’au jour où je suis tombée enceinte.
Être mère était certainement la perspective la plus effrayante pour moi. Comment pouvais-je élever un enfant, moi qui passais mes journées dans les bras des hommes ? La seule chose qui me rassurait, c’était que Tybalt était à mes côtés.
« Ce sera une fille. »
« Qu’est-ce que tu en sais ? Et pourquoi est-ce que, vous les hommes, vous voulez tout le temps une fille ? »
« Parce que l’on espère toujours qu’elle ressemblera à sa mère. »
Durant les neufs mois de grossesse, je restais dans sa propre maison. L’argent qu’il ramenait venait généralement d’une part du salaire de son frère cadet qui, s’il ignorait tout de la vie de Tybalt, n’hésitait pas à offrir de l’or à son aîné. Il y avait aussi ses magouilles avec ce Baron dont j’avais oublié le nom, mais qu’importe…
Tout était parfait, jusqu’au jour où la folie vient frapper à la porte de mon cher et tendre.
~¤~
La pièce était étroite, comprimée dans un espace envahi par la peur et le sang. La jeune femme était dos au mur, les cheveux dénoués, collés à son visage et à ses épaules par la sueur. Les yeux exorbités d’horreur, elle peine à accepter l’image de l’homme qu’elle a en face d’elle. L’air fou, les doigts crispés sur le manche de son poignard, il la menace de sa lame.
« Arrête Tybalt, arrête ! »
« Je ne veux pas que tu devienne comme ces monstres ! Ni une chienne à quatre pattes, ni une… un… squelette ! »
« Tu ne peux pas me tuer… tu n’as pas le droit ! Tu ne peux pas… »
Il fouetta l’air de son couteau, arrachant un cri de terreur à sa victime qui se recroquevilla. Il la saisit violemment par les cheveux, attirant son visage tout près du sien.
« Je ne supporterais pas que tu sois ainsi, personne ne mérite de vivre ainsi… »
« Elvyra ! Elvyra a besoin de moi, je t’en prie… »
« Elle s’en sortira, le Baron s’occupe d’elle, il me l’a promis. Mais toi… toi tu es condamnée, comme moi. Mais c’est moi qui te prendrais, eux ils n’auront rien ! »
Elle tenta de se dégager mais ne réussit qu’à énerver son agresseur qui la plaqua contre le mur avec une violence inouïe. Il sentait l’alcool et le tabac, signe que son geste était autant mué par la folie que par un excès de vin.
« Tu dois me comprendre, Raya, je ne veux pas te voir comme eux, jamais. »
La lame du poignard se planta dans son ventre, déchirant chair et entrailles, tandis qu’il raffermissait sa prise sur ses cheveux pour lui faire traverser l’unique fenêtre de la pièce dans un fracas de verres brisés.
La chute fut longue. Aussi longue que le hurlement qui se mourait dans le déchaînement violent des vagues venues s’écraser contre le Phare. Il y eut le bruit sourd d’un corps s’écrasant en contre bas.
Puis le silence.
~¤~
L’éclat de rire dément s’acheva enfin, et Holgar vida d’un trait son restant de bière avant de commenter :
« Cet abruti t’as tué parce qu’il avait peur de te voir devenir une Worgenne ou une Réprouvée ? Le pauvre, s’il te voyait ! »
Raya ne releva pas, se contentant de passer un dernier coup de chiffon sur la lame de son épée. Que Tybalt ait eu tort n’avait que peu d’importance désormais.
« Il ne peut plus me voir, il est certainement mort alors que moi, je suis en vie. C’est le logique retour des choses. Mais sa mort ne m’a pas apaisée pour autant… »
Elle caressa du bout des doigts le tranchant de la lame, appréciant son équilibre parfait. Un sourire sadique déformait ses traits immondes, le même sourire qui l’accompagnait depuis des mois.
« Est-ce vrai que j’étais couverte de sang lorsque vous m’avez retrouvée ? »
« De la tête aux pieds, ouais. On aurait dit que l’on t’avait noyée dans un pot de peinture rouge. »
« Le rouge est ma couleur favorite. Mes draps étaient toujours rouges dans ma chambre, à Gilnéas, le rouge est la couleur de la force et de la haine. Je vivrais avec cette couleur désormais. »
« La haine ? Contre qui ? »
« Contre ces porcs qui pensent que la vie des autres leur appartient, contre tout ce qui sort ou entre de Gilnéas, contre tout ceux qui vivent avec la peur aux tripes. Je suis une veuve éplorée qui a été arrachée à la vie par un amant fou et égoïste, une mère qui ne verra jamais sa fille grandir, une catin sans plaisir devenue guerrière sadique. Quelle voie merveilleuse que celle de la vie, n’est-ce pas Holgar ? »
Le Réprouvé finit une deuxième chopine.
« Tu n’a même pas l’air triste, c’est dingue. La plupart pleurent comme des gosses à ce stade et toi, tu souris comme une démente. »
« Je ne suis pas triste, je ne le serais plus jamais. La tristesse est pour les impatients. J’ai des jambes et j’avance, comme toujours. »
Comme toujours.
Enjoyr =D
**********
Le corps gisait, brisé et sans vie, sur les récifs.
L’imposant Phare de Gilnéas, loin au dessus du cadavre, semblait être un inaccessible Eden. Au sommet de l’édifice, dominant la scène de son regard d’émeraude, un homme reste immobile.
Il pleure.
~¤~
« Dis, Jen, on en fait quoi de celle-là. »
« Bah, on la ramène ! C’te question ! »
« Mais elle est cassée de partout ! »
« On s’en branle ! Le commandeur à dit de ramener tous les cadavres que l’on trouverait en Gilnéas. Ca, c’est un cadavre, ici, c’est Gilnéas donc, on embarque ! »
~¤~
Je me souviens d’une chambre chaude, aux draps éternellement froissés, avec des tableaux érotiques accrochés aux murs comme pour indiquer l’ambiance qui régnait chaque nuit dans cette pièce. Une odeur entêtante d’encens et de sueur mêlés, des vêtements éparpillés sur le parquet vernis, et moi toujours nue, étendue sur le lit. Tous les moments clés de ma vie s‘étaient déroulés là, dans cet espace confiné.
Les bons moments, les mauvais, les joies et les peines, les regrets et les remords, les doutes et les certitudes.
Cette simple chambre, la mienne, celle où je vivais et où je travaillais. J’étais ce que les gens de la haute société appellent une fille de petite vertu, une traînée ou tout bonnement une catin.
J’avais commencé à faire le tapin vers 15 ans, quand mes formes m’avaient permises d’attirer le regard des hommes. Beaucoup de femmes ignorent pourquoi elles se livrent ainsi. J’étais ainsi, parfaitement consciente de la vie que je menais tout en étant incapable de m’y arracher. Je ne me considérais pas comme une dépravée ni comme une pécheresse et c’est pour cela que je priais. Lorsque l’argent obtenu sur le trottoir ne servait pas à m’entretenir, il entretenait la Cathédrale de Gilnéas et ses fidèles. Bien évidemment, le prêtre n’appréciait guère de recevoir un argent si mal acquis mais, l’or restant de l’or, il l’encaissait volontiers.
La Lumière ne m’a jamais tiré de la rue, en revanche, elle me guida vers quelque chose de plus intense que la prière et la foi.
~¤~
La première chose qu’elle vît fut un être hideux qui ressemblait plus à un cadavre ambulant qu’à un être humain. Des bouts de peaux noirâtres avaient été assemblés, au hasard, sans aucun respect de l’esthétique ou de la logique, le tout retenu par des lanières de cuir usées.
« Bolgod, écarte-toi voyons, laisse-la demoiselle respirer ! »
La créature disparue de son champ de vision, remplacée par une consœur bien moins reluisante. Vêtue d’une robe d’apothicaire et tenant une multitude de fioles aux couleurs criardes entre les mains, l’immondice se pencha sur elle.
« Il semblerait que les Val’kyrs aient fait du bon boulot, une fois de plus. »
Elle secoua la tête, perplexe, et entendit un étrange cliquetis osseux lorsqu’elle remua les jambes. Interloquée, elle baissa les yeux sur ce qui était un corps humain.
Autrefois.
La chair avait totalement disparue, ne laissant que l’os blanc. Squelette animé par une volonté qui avait bravée la Mort elle-même, elle contempla avec stupéfaction ce qui restait de son corps. Ce corps dont elle avait été si fière et qui avait été la source même de son bonheur, était à présent une coquille vide, sans âme ni attrait.
Instinctivement, sa main tâta son visage, en dessinant les contours osseux et couturés. Son faciès avait subi le même sort funeste que le reste de son corps, même son opulente chevelure noire était devenue une crinière hirsute infâme.
« Qu’est… qu’est-ce qui m’est arrivé, où suis-je ? »
Même sa voix avait changée, elle était devenue froide et dure comme la pierre.
« Et bien… vous êtes morte. Mais, vous avez été ramenée à la vie ! Bon, certes, on n’a pas encore réussit à faire en sorte que les gens renaissent en chair et en os mais on avance. Sinon, vous êtes à Fossoyeuse, dans la cité de la Dame Noire et de ses Réprouvés. »
La tête bourdonnante, elle s’allongea à nouveau. Morte ? Vraiment ? Mais depuis combien de temps… et comment, déjà ?
« Quel est votre nom, au fait ? J’en ai un tas noté dans mon registre mais j’ignore lequel est le vôtre. »
« Raya Dastel. »
« Dastel… Dastel… Ah ! J’ai trouvé ! Morte à Gilnéas, tuée la veille de l’attaque réprouvée, poignardée et jetée du haut du Phare – visiblement, on ne voulait pas rater son coup, hein ! D’après les informations que nous disposons à votre sujet, vous étiez une ancienne prostituée –bouarf, classique, on a ramassé une bande de proxénètes hier, ça doit être des potes à vous – orpheline et célibataire. Bon, ben, vous avez rien loupée de la vie ! Le meilleur arrive pour vous. »
L’apothicaire referma son livre avant d’aider Raya à se relever et à se tenir en équilibre. Retrouver le contact glacé du sol lui procura un léger frisson d’appréhension. Par la Lumière, comment pouvait-elle tenir encore debout alors qu’elle était censée être morte ? Elle remua bras et jambes, remarquant que son poignet droit était nu, tout comme le reste de son corps.
« Où est mon bracelet ? »
« Votre quoi ? »
« Mon bracelet. Je le porte toujours sur moi. »
« Nous avons laissé toutes vos affaires à Gilnéas, nous n’emportons que les corps. Pourquoi, il était si précieux ? »
« J’en ai besoin pour… pour prier. »
« Prier ? S’éclaffa l’apothicaire. Ma foi, laissez les prières aux Prêtres, nous avons besoin de guerriers en ce moment. Allez savoir pourquoi, mais la majorité de nos nouvelles recrues deviennent des Voleurs ou des Démonistes. Ils doivent penser que ça colle avec notre apparence cadavérique. »
~¤~
J’avais dix-neuf ans lorsque ma route croisa celle de Tybalt.
L’une de mes connaissances me le présenta le soir de son anniversaire, en « cadeau ». D’après les rumeurs, sa famille se donnait l’image d’une lignée respectable et honorée alors qu’elle croupissait dans la misère et la crasse depuis des générations. Pour avoir vu sa mère faire le tapin quelques soirs, je savais d’avance que ses tenues élégantes et son allure raffinée ne cachaient que vices et tromperies.
C’est peut-être pour cela que je suis tombée amoureuse de lui.
C’était un menteur invétéré, un voleur des bas-fonds doublé d’un manipulateur hors-pair, un beau salaud oui. Il était ainsi avec les autres, c’est de cette manière qu’il se protégeait, lui et sa famille, il faisait des magouilles à droit à gauche pour pouvoir leur donner de quoi manger. Je me souviens que notre première rencontre s’était soldée par une dispute. Je le trouvais faux, il me trouvait superficielle. On était fait l’un pour l’autre, en somme.
Il me fallut des mois pour comprendre le double jeu mené par Tybalt et encore plus pour le convaincre de se livrer à moi, corps et âme. Il me parlait de son père qui noyait sa misère dans l’alcool, de sa mère qui faisait le tapin et de son frère cadet qui refusait de voir que sa propre famille était un nid à enflures. Quant à moi, je parlais peu. J’avais une qualité assez rare : celle de rarement regretter mes actes, même manqués. Si je faisais un choix, je m’y tenais et je ne me plaignais pas, je vivais toujours avec cette maxime : cueille les roses de la vie et conserve chaque pétale comme un cadeau.
J’étais une catin, une profiteuse, une garce aussi peut-être, mais mon existence était certainement moins fade que celle des gens qui cherchent sans cesse à se donner bonne conscience.
~¤~
La cité de Fossoyeuse, fourmilière macabre, était le point de ralliement des Réprouvés, le centre d’attraction de cette armée de morts et de damnés que Sylvanas Coursevent, la Dame Noire, tenait d’une main de fer. Chaque nouveau jour voyait se lever d’autres combattants venus rejoindre ses rangs. Fléau sombre et implacable, cette nation était aux yeux de Raya bien plus effrayante que les peuples Orcs.
Du moins, avant qu’elle-même ne devienne l’une des leurs.
Les premiers jours de sa « vie », elle était restée prostrée, ébahie devant ce qui semblait être un miracle. Ou bien une malédiction. Un état des plus naturels, selon l’apothicaire –Tyrion – qui s’était chargé de son intégration dans les forces des Réprouvés. Bon nombre de ceux qui se réveillaient devenaient fous en découvrant ce qu’ils étaient devenus et d’autres refusaient catégoriquement de rejoindre Sylvanas, si bien qu’ils erraient, sans but, dans les Clairières de Tirisfal. Trois jours durant, la gilnéenne n’avait prononcé mot, observant seulement ces squelettes animés qui ne se souciaient guère de sa présence. A l’aube du quatrième jour, elle s’était levé et avait saisit l’épée en acier trempé qui gisait à ses pieds avant de se rendre auprès de Tyrion.
« Apprenez-moi à me battre et je servirais la Dame Noire. »
Durant les mois qui suivirent, elle fut initiée aux arts de la guerre et du combat, compensant son manque de connaissances en la matière par son obstination et sa rage. Elle qui n’avait été qu’une prostituée dans sa vie d’antan était devenue une combattante prometteuse, destinée à faire partie des rangs d’une armée de morts-vivants.
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« Pourquoi te bas-tu ? »
« Parce que je viens de renaître, alors que j’aurais dû mourir. C’est une chance. »
« Te souviens-tu de ta mort ? »
« J’ai été poignardée et jetée du haut du Phare de Gilnéas. »
« Jures-tu fidélité à notre Reine, Dame Sylvanas ? »
« Je jure. »
« Brandiras-tu ta lame pour elle et pour les Réprouvés ? »
« Oui. »
« Dis-moi qui était ton assassin. »
« L’homme que j’aimais. »
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La vie que je menais avec Tybalt ressemblait à un cours d’eau tumultueux. Tantôt calme et doux, tantôt furieux et révolté mais qui finissait toujours par nous emporter tout deux dans ses vagues. Nous pouvions passer des nuits à nous parler sans s’arrêter pour nous détester cordialement le lendemain, mais cela n’allait jamais au-delà. Pas de coups, pas d’insultes, juste un amour trop puissant pour être tempéré.
Jusqu’au jour où je suis tombée enceinte.
Être mère était certainement la perspective la plus effrayante pour moi. Comment pouvais-je élever un enfant, moi qui passais mes journées dans les bras des hommes ? La seule chose qui me rassurait, c’était que Tybalt était à mes côtés.
« Ce sera une fille. »
« Qu’est-ce que tu en sais ? Et pourquoi est-ce que, vous les hommes, vous voulez tout le temps une fille ? »
« Parce que l’on espère toujours qu’elle ressemblera à sa mère. »
Durant les neufs mois de grossesse, je restais dans sa propre maison. L’argent qu’il ramenait venait généralement d’une part du salaire de son frère cadet qui, s’il ignorait tout de la vie de Tybalt, n’hésitait pas à offrir de l’or à son aîné. Il y avait aussi ses magouilles avec ce Baron dont j’avais oublié le nom, mais qu’importe…
Tout était parfait, jusqu’au jour où la folie vient frapper à la porte de mon cher et tendre.
~¤~
La pièce était étroite, comprimée dans un espace envahi par la peur et le sang. La jeune femme était dos au mur, les cheveux dénoués, collés à son visage et à ses épaules par la sueur. Les yeux exorbités d’horreur, elle peine à accepter l’image de l’homme qu’elle a en face d’elle. L’air fou, les doigts crispés sur le manche de son poignard, il la menace de sa lame.
« Arrête Tybalt, arrête ! »
« Je ne veux pas que tu devienne comme ces monstres ! Ni une chienne à quatre pattes, ni une… un… squelette ! »
« Tu ne peux pas me tuer… tu n’as pas le droit ! Tu ne peux pas… »
Il fouetta l’air de son couteau, arrachant un cri de terreur à sa victime qui se recroquevilla. Il la saisit violemment par les cheveux, attirant son visage tout près du sien.
« Je ne supporterais pas que tu sois ainsi, personne ne mérite de vivre ainsi… »
« Elvyra ! Elvyra a besoin de moi, je t’en prie… »
« Elle s’en sortira, le Baron s’occupe d’elle, il me l’a promis. Mais toi… toi tu es condamnée, comme moi. Mais c’est moi qui te prendrais, eux ils n’auront rien ! »
Elle tenta de se dégager mais ne réussit qu’à énerver son agresseur qui la plaqua contre le mur avec une violence inouïe. Il sentait l’alcool et le tabac, signe que son geste était autant mué par la folie que par un excès de vin.
« Tu dois me comprendre, Raya, je ne veux pas te voir comme eux, jamais. »
La lame du poignard se planta dans son ventre, déchirant chair et entrailles, tandis qu’il raffermissait sa prise sur ses cheveux pour lui faire traverser l’unique fenêtre de la pièce dans un fracas de verres brisés.
La chute fut longue. Aussi longue que le hurlement qui se mourait dans le déchaînement violent des vagues venues s’écraser contre le Phare. Il y eut le bruit sourd d’un corps s’écrasant en contre bas.
Puis le silence.
~¤~
L’éclat de rire dément s’acheva enfin, et Holgar vida d’un trait son restant de bière avant de commenter :
« Cet abruti t’as tué parce qu’il avait peur de te voir devenir une Worgenne ou une Réprouvée ? Le pauvre, s’il te voyait ! »
Raya ne releva pas, se contentant de passer un dernier coup de chiffon sur la lame de son épée. Que Tybalt ait eu tort n’avait que peu d’importance désormais.
« Il ne peut plus me voir, il est certainement mort alors que moi, je suis en vie. C’est le logique retour des choses. Mais sa mort ne m’a pas apaisée pour autant… »
Elle caressa du bout des doigts le tranchant de la lame, appréciant son équilibre parfait. Un sourire sadique déformait ses traits immondes, le même sourire qui l’accompagnait depuis des mois.
« Est-ce vrai que j’étais couverte de sang lorsque vous m’avez retrouvée ? »
« De la tête aux pieds, ouais. On aurait dit que l’on t’avait noyée dans un pot de peinture rouge. »
« Le rouge est ma couleur favorite. Mes draps étaient toujours rouges dans ma chambre, à Gilnéas, le rouge est la couleur de la force et de la haine. Je vivrais avec cette couleur désormais. »
« La haine ? Contre qui ? »
« Contre ces porcs qui pensent que la vie des autres leur appartient, contre tout ce qui sort ou entre de Gilnéas, contre tout ceux qui vivent avec la peur aux tripes. Je suis une veuve éplorée qui a été arrachée à la vie par un amant fou et égoïste, une mère qui ne verra jamais sa fille grandir, une catin sans plaisir devenue guerrière sadique. Quelle voie merveilleuse que celle de la vie, n’est-ce pas Holgar ? »
Le Réprouvé finit une deuxième chopine.
« Tu n’a même pas l’air triste, c’est dingue. La plupart pleurent comme des gosses à ce stade et toi, tu souris comme une démente. »
« Je ne suis pas triste, je ne le serais plus jamais. La tristesse est pour les impatients. J’ai des jambes et j’avance, comme toujours. »
Comme toujours.
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