Déchéance.
:: La Confrérie :: Près de l'Âtre
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Déchéance.
"Commandant ! Nous sommes submergés ! Il nous faut battre en retraite !"
Une retraite ? Un œil rapide sur le champ de bataille indiquait qu'elle s'avérait nécessaire, en effet. Les soldats étaient débordés par la masse des Nérubiens morts qui émergeaient des cavités sur les parois ; et par celle plus horrible encore de leurs propres frères morts à l'instant, relevés par d'immondes nécromants que les fusiliers ne parvenaient à toucher. Ils avaient décidé, la veille, d'apprêter un régiment afin de purger définitivement Azjol-Nerub de la souillure du Fléau -et ainsi priver d'une source de renforts considérable le Fléau.
Ils avaient avancé loin dans les galeries, rencontrant çà et là des poches éparses de résistance -qui n'en offraient par ailleurs aucune. Et puis ils étaient finalement parvenus dans une salle gigantesque, dont le sol était fait d'une toile d'araignée aussi solide que le roc des parois -et fort heureusement, car le gouffre sous celle-ci semblait mener droit au centre d'Azeroth. Elle était vide ; ils firent un pas prudent sur la toile... et c'est là que le cauchemar avait pour eux vraiment commencé. Le moment où les prédateurs devinrent des proies.
"Commandant ! Pitié, faites-nous nous replier... nous allons tous mourir !"
La commandante -car elle était femme- se contenta de regarder son lieutenant en grinçant des dents en le massacrant du regard. Tant que celui-ci se mit à se demander s'il ne valait pas mieux, tout compte fait, se faire dévorer par un Nérubien que devoir affronter sa réaction.
"Par la Lumière, Wilson ! Vous me pensez aveugle ?! Vous avez dit la même chose à l'Enclave Écarlate ; êtes-vous mort ce jour-là ? Non ! alors reprenez votre poste et retournez vous battre !"
Ledit Wilson n'eut pas même la pensée de contredire sa chef et retourna au combat. Elle dégageait une telle vindicte, une telle autorité, que toute contestation semblait être un acte insensé, quel que fût l'ordre donné.
Alors la Croisée vociféra ses ordres avec une telle puissance qu'elle s'en ruina non seulement les cordes vocales, mais couvrit la cohue de la mêlée.
"Croisés Écarlates ! Vaillants serviteurs de la Foi et de la Lumière ! Vous êtes l'élite de la Sainte Croisade, les plus fervents croyants qu'ait porté Azeroth ; vous ne pouvez pas vous permettre de céder un pouce de terrain ! Cette bataille est la bataille de notre vie, un des plus gros crachats que vous pourrez faire à la face d'Arthas ; et je jure, moi Jadie Faldren, que nous en ressortirons vainqueurs ! Pour la Lumière !"
Bon sang.
Ce combat avait pourtant commencé à tourner en la faveur des Croisés. Ils avaient commencé à entrevoir la victoire, au bout du tunnel sombre du désespoir. Acculés, n'ayant plus rien à perdre, ils s'étaient mis à mordre avec une fureur décuplée. Les exhortations de leurs commandant, qui finalement avait foncé devant pour donner l'exemple -et mouchait ces horreurs du Fléau avec une force insoupçonnée- avaient aussi participé à un regain de courage qui aurait été fatal aux Nérubiens. Seulement...
Bon sang.
Comment foutre ne l'avaient-ils vue approcher ? Elle allait pourtant lentement et faisait au moins la taille d'un Dragon... mais elle allait si sournoisement, si pernicieusement ; elle tirait tant profit de la cohue que personne ne l'avait même sentie venir. Et brusquement elle avait surgi d'un tunnel de toile et foncé sur les Écarlates. Hadronox. Hadronox l'Affamée. Cette catin avait tout fait rater et Jadie fut forcée de sonner la retraite. Et quelle retraite ! une débandade où les soldats fonçaient à qui mieux mieux, hurlant de terreur, que Jadie n'arrivait plus à maîtriser. Des têtes allaient tomber. Pour lâcheté devant l'ennemi, la sentence est sans appel.
Finalement c'était bel et bien comme à l'Enclave.
Une retraite ? Un œil rapide sur le champ de bataille indiquait qu'elle s'avérait nécessaire, en effet. Les soldats étaient débordés par la masse des Nérubiens morts qui émergeaient des cavités sur les parois ; et par celle plus horrible encore de leurs propres frères morts à l'instant, relevés par d'immondes nécromants que les fusiliers ne parvenaient à toucher. Ils avaient décidé, la veille, d'apprêter un régiment afin de purger définitivement Azjol-Nerub de la souillure du Fléau -et ainsi priver d'une source de renforts considérable le Fléau.
Ils avaient avancé loin dans les galeries, rencontrant çà et là des poches éparses de résistance -qui n'en offraient par ailleurs aucune. Et puis ils étaient finalement parvenus dans une salle gigantesque, dont le sol était fait d'une toile d'araignée aussi solide que le roc des parois -et fort heureusement, car le gouffre sous celle-ci semblait mener droit au centre d'Azeroth. Elle était vide ; ils firent un pas prudent sur la toile... et c'est là que le cauchemar avait pour eux vraiment commencé. Le moment où les prédateurs devinrent des proies.
"Commandant ! Pitié, faites-nous nous replier... nous allons tous mourir !"
La commandante -car elle était femme- se contenta de regarder son lieutenant en grinçant des dents en le massacrant du regard. Tant que celui-ci se mit à se demander s'il ne valait pas mieux, tout compte fait, se faire dévorer par un Nérubien que devoir affronter sa réaction.
"Par la Lumière, Wilson ! Vous me pensez aveugle ?! Vous avez dit la même chose à l'Enclave Écarlate ; êtes-vous mort ce jour-là ? Non ! alors reprenez votre poste et retournez vous battre !"
Ledit Wilson n'eut pas même la pensée de contredire sa chef et retourna au combat. Elle dégageait une telle vindicte, une telle autorité, que toute contestation semblait être un acte insensé, quel que fût l'ordre donné.
Alors la Croisée vociféra ses ordres avec une telle puissance qu'elle s'en ruina non seulement les cordes vocales, mais couvrit la cohue de la mêlée.
"Croisés Écarlates ! Vaillants serviteurs de la Foi et de la Lumière ! Vous êtes l'élite de la Sainte Croisade, les plus fervents croyants qu'ait porté Azeroth ; vous ne pouvez pas vous permettre de céder un pouce de terrain ! Cette bataille est la bataille de notre vie, un des plus gros crachats que vous pourrez faire à la face d'Arthas ; et je jure, moi Jadie Faldren, que nous en ressortirons vainqueurs ! Pour la Lumière !"
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Bon sang.
Ce combat avait pourtant commencé à tourner en la faveur des Croisés. Ils avaient commencé à entrevoir la victoire, au bout du tunnel sombre du désespoir. Acculés, n'ayant plus rien à perdre, ils s'étaient mis à mordre avec une fureur décuplée. Les exhortations de leurs commandant, qui finalement avait foncé devant pour donner l'exemple -et mouchait ces horreurs du Fléau avec une force insoupçonnée- avaient aussi participé à un regain de courage qui aurait été fatal aux Nérubiens. Seulement...
Bon sang.
Comment foutre ne l'avaient-ils vue approcher ? Elle allait pourtant lentement et faisait au moins la taille d'un Dragon... mais elle allait si sournoisement, si pernicieusement ; elle tirait tant profit de la cohue que personne ne l'avait même sentie venir. Et brusquement elle avait surgi d'un tunnel de toile et foncé sur les Écarlates. Hadronox. Hadronox l'Affamée. Cette catin avait tout fait rater et Jadie fut forcée de sonner la retraite. Et quelle retraite ! une débandade où les soldats fonçaient à qui mieux mieux, hurlant de terreur, que Jadie n'arrivait plus à maîtriser. Des têtes allaient tomber. Pour lâcheté devant l'ennemi, la sentence est sans appel.
Finalement c'était bel et bien comme à l'Enclave.
Jadie- Modérateur
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Re: Déchéance.
"Regardez... c'est quoi ça madame ?"
Jadie avait levé les yeux vers ce que lui pointait le vieux Marvel. Un ami fermier, particulièrement dévoué à la Très Sainte Croisade, auprès de qui elle passait beaucoup de temps. Elle lui chantait des cantiques tous plus splendides les uns que les autres, et il lui racontait des histoires sur le Lordaeron d'antan. Il habitait l'Enclave depuis que celle-ci avait été construite ; et depuis personne ne l'avait jamais vu manquer une messe, une donation, une Sainte corvée, ni même jurer, blasphémer.
Cependant il était trop vieux pour combattre, et cela, ajouté à son caractère extrêmement doux, faisait se demander aux zélotes ce qu'il pouvait bien faire là. Souvent il avait été questionné car cette humeur paraissait suspicieuse. Mais depuis que Jadie avait été détachée là-bas, personne n'osait plus lui causer quelque souci.
"C'est comme un gros nuage... mais il avance plus vite et contre le vent."
Le soleil aveuglait la Championne. Elle n'arrivait à distinguer qu'une forme vague qui, peu à peu, cachait la lumière. À mesure que cette chose avançait, les cheveux de Jadie se hérissaient, ses dents grinçaient de plus en plus fort et la chair de poule lui parcourait le corps. Elle ne la reconnaissait que trop bien, et pourtant se refusait à l'admettre. Si c'était bien ce qu'elle pensait, alors ils seraient tous perdus.
"Marvel... tu vas rentrer au fort ; tu m'entends ? Barricade-toi entre les murs. Si les gardes te disent quelque chose, dis-leur que c'est moi qui t'envoie."
Elle avait dans la voix une peur farouche. Elle qui d'habitude ne craignait rien, qui avait transmis à ses troupes une foi en la Lumière qui écartait tout doute, toute crainte de la mort et des agents du Fléau, haletait, les yeux écarquillés devant le mastodonte flottant qui s'était immobilisé en l'air. Alors Marvel comprit et s'en alla en courant. Il comprit que si Jadie était morte de frayeur, ce n'était ni pas pour sa vie à elle, ni pour celles des zélotes de la Croisade qui se défendraient jusqu'à la mort. Non ; c'était pour sa vie à lui qu'elle craignait. Il comprit aussi que ce qui flottait juste en-dessus le petit plateau acculé à la montagne -celui qui surplombait la Mine-, c'était une Nécropole.
Jadie était des défenseurs. Elle surveillait nuit et jour cette maudite butte, où elle avait détaché des éclaireurs. À chaque heure l'un d'eux venait dans la maison qu'elle occupait -celle de Marvel- pour lui annoncer que rien ne se passait pour le moment. Et elle n'en était que plus inquiète de jour en jour. Quand allaient-ils passer à l'acte ? Étaient-ce des manières que de faire attendre son ennemi de la sorte ? Tout avait été tenté pour faire s'écrouler la Nécropole. Ils était hors de question d'apprêter des griffons -Abbendis refusait obstinément sans que personne sût pourquoi- ; et le bâtiment était bien trop haut pour pouvoir le canarder à coups de canons ou de balistes.
Au bout d'une semaine l'attente était devenue insupportable. Des rumeurs circulaient comme quoi d'autres Nécropoles s'étaient silencieusement avancées, partout en Azeroth ; mais personne n'était sûr de rien attendu que tout contact avec l'extérieur avait été rompu. Rompu pour les troufions, les zélotes et les clercs, oui... mais pour la Générale ? Abbendis était-elle au courant de ce qui se tramait ? Pourquoi s'obstinait-elle à garder le silence ? Et qu'en était-il d'Isilien ? Mystère total. C'est pourquoi elle avait fait mandater du Monastère une alliée précieuse. Un rat de bibliothèque à l'âme sans doute aussi corrompue que sa foi en la Lumière était grande ; mais Jadie la tenait en immense estime. Et puis il fallait reconnaître que ses dons étaient d'une utilité remarquable à la Croisade.
La Championne fut tirée de ses rêveries, en sursaut, lorsqu'on frappa à la porte de son logis. Elle se leva, jeta un bref regard vers le feu -qui lui confirma qu'elle était restée là à somnoler longtemps-, et s'empressa d'ouvrir.
"J'espère ne pas t'avoir trop faite attendre, Sœur Jadie. Mon canasson est mort il y a quelques jours ; moi et mon escorte avons fini la route à pieds..."
C'était son seul bonjour. Elle n'avait pas changé. Peut-être à peine minci, et encore... elle portait toujours cette robe rouge et noire brodée d'or aux épaulières assorties, très elfique -et sans tabard, ce qui lui valait usuellement des regards de travers- ; ce bâton noir avec au bout un joyau rouge sombre, dans lequel se mouvaient des formes obscures ; ce crâne rouge et ricanant, tout cornu qu'il était, pendouillant à sa ceinture. Et cet épais bandeau d'un noir si profond que même la lumière ne se reflétait pas sur le tissu, qui lui couvrait les yeux. Et toujours cette même allure sinistre, entourée d'un mystère...
Son amie avait, pour accentuer cette impression, divers attributs hors du commun. Sous le bandeau, des rainures verdâtres, semblables à des veinules, partaient de ses yeux qui irradiaient une lueur verte. Ses cheveux étaient très longs, mais surtout d'un blanc de neige ; et pourtant elle ne devait avoir que vingt ans. Ses lèvres avaient couleur de sang. Mais surtout et avant tout il émanait de sa personne une aura qui effrayait celui qui ne la connaissait pas -stridente et résonnante, ardente et glacée à la fois. Oui ; Sœur Naztrix sentait la corruption à plein nez et l'on se demandait souvent, à la Croisade, ce que faisait cette créature de l'Ombre à rôder dans la Bibliothèque et l'Anatheum. En vérité, elle était une des plus zélées croyantes de tout le Monastère et ses dons de prescience, aussi cruciaux que rares, lui assuraient de n'être jamais inquiétée par l'Inquisition. C'était elle que Jadie avait faite mander.
"Le reste des Sept Sœurs a été envoyé au port de l'Enclave, Jadie. Tu le savais ? dit-elle en entrant.
-Non, fit la paladin d'un air étonné. Mais vu ce qui se profile à l'horizon, j'aurais préféré qu'elles restent en arrière. Tu l'as senti, n'est-ce pas... peut-être l'as-tu vu avant de venir. Toi la Sainte Naztrix, Haute Presciente de la Croisade Écarlate."
L'air un tantinet joyeux de l'invitée laissa place à son habituel air mystérieux. Pendant que Jadie, accoutumée à ses transes, allait préparer du thé, elle se mit à parler d'une voix d'outre-tombe, pleine de menaces et de lourds présages.
"Ils vont surgir des cieux, les chevaucheurs du Roi sans terre ; et la moisson sera celle des âmes, et la récolte celle des cris. L'os et le fer laisseront à la rune de mort place. Les blés rouges par de mortelles faux seront fauchés, aux luisants bleus écrits. Et tous désespèreront l'impitoyable avancée devant. Le vent de la vengeance soufflera en poupe pour le Nord."
Jadie frémit en servant le thé, que son amie prit le plus naturellement du monde, comme si ce qui venait de se passer était aussi normal que de s'enquérir de la santé de son voisin. Elle n'avait pas tout compris à la prédiction, mais une chose était presque sûre : une mort certaine. Mais quand, par la Lumière, QUAND ! Jadie l'avait hurlé malgré elle et resta interdite. Et puis elle surprit ce sourire cynique au coin de la bouche de Naztrix. Humpf... il ne faudrait pas s'attendre à ce que son hérétique d'amie en dise plus. Si elle ne l'avait pas dit durant sa transe, c'est que la Sainte Lumière ne le lui avait pas fait savoir. Il ne lui restait plus que l'option de l'attente frustrée que l'ennemi vînt les cueillir comme des pâquerettes.
Il se passa un petit moment, quelques heures, durant lesquelles les deux Saintes conversèrent de tout et de rien. Des nouvelles du Monastère et de la Main de Tyr, de la Sainte Lumière, de leur foi, d'anecdotes amusantes qui ne manquaient pas dans un ordre aussi strict. Et surtout, elles prièrent et chantèrent longtemps. Et finalement Jadie demanda des nouvelles d'Azeroth.
"De mal en pis. Les rumeurs qui circulent ici sont vraies. Le Roi sans terres a envoyé ses Nécropoles en Azeroth et Frère Anton confirme en avoir vue en Kalimdor. Mais il y a pire, Jadie ; annonça gravement Naztrix devant la mine déconfite de la paladin. Il a fait envoyer des cargaisons de blé partout, comme auparavant..."
Jadie lui fit signe de s'interrompre. C'en était trop. Elle connaissait la suite par avance : l'Histoire se répétait ; elle ne voulait pas s'en rappeler.
"Mais cette fois, hasarda la Presciente, il y a un espoir. L'épidémie se propage à une vitesse folle, mais un antidote est en train d'être mis au point !"
Mis au point par ce chien galeux de Réprouvé dont elle avait oublié le nom. Elle n'eut pas le temps d'ajouter ce fait qui de toute manière n'aurait fait qu'énerver Jadie... car dehors des hurlements se firent entendre. Jadie se rua vers la fenêtre, puis courut à l'étage. Naxtriz, elle, finit tranquillement son thé, repassa les plis de sa robe d'un revers de main, épousseta le crâne à sa ceinture et rajusta son bandeau ; le tout avec un sourire froid et les gestes les plus lents du monde. Sa sœur d'armes quant à elle descendit en trombes, apprêtée pour le combat et l'armure mal attachée ; et les deux sortirent.
Ils avaient surgi des cieux, les chevaucheurs du Roi sans terres.
"Enfin, vous ne pouvez pas... commença Sœur Iulie, la prêtresse. Iulie était si sensible, si douce, qu'elle menaçait de fondre en larmes devant une telle décision. Vous ne pouvez pas abandonner nos hommes lorsqu'ils ont le plus besoin de nous, ma Dame...
-Nous n'abandonnons personne, coupa sèchement la générale. Nous n'allons que frapper au cœur du problème.
-Si nous analysons clairement et froidement la situation, il apparaît clair que nous aurions une chance de repousser la Nécropole si nous restions unis, enchaîna Sœur Katrana. Mais si vous privez la Nouvelle-Avalon de ses meilleurs éléments, il apparaît clair que nos frères vont tous mourir. Voire même grossir les rans du Fléau de Lordaeron, et éventuellement faire tomber la Main de Tyr.
-Il suffit. Je n'entends pas m'expliquer. La Sainte Lumière me parle, et elle m'a ordonné de faire voile au Norfendre. Ni vous, ni moi, n'avez à remettre Ses ordres en question."
Toutes se tournèrent vers Naztrix, qui "regardait" distraitement ses ongles. Elle ne semblait aucunement intéressée par la conversation, faisant mine de n'avoir rien entendu et de ne pas sentir le poids des regards sur elle. Enfin Jadie se retourna vers sa supérieure, et commença à parler lentement, en s'efforçant de maîtriser le flot d'émotions contradictoire qui jaillissait en elle.
"Ma générale... je... suis choquée. Je ne nie pas la nécessité d'obéir aux ordres, directs qui plus est, de la Sainte Lumière, mais...
-Suffit, Championne. Vous me suivrez. Un point c'est tout."
C'en fut trop. Jadie se leva de son siège et frappa violemment du poing sur la table, à tel point que l'encrier et la plume tombèrent au sol. Et elle se mit à hurler.
"Vous allez m'écouter, Abbendis ! Ce que vous nous demandez est une HONTE pour une guerrière telle que vous ! Vous nous demandez d'abandonner nos frères au cœur du combat ! Vous nous demandez d'abandonner notre terre natale alors qu'elle est le plus gravement menacée !"
Abbendis regardait Jadie, animée par un feu qui venait de déborder. Consternée. Et celle-ci redoublait d'ardeur, frappant sur la table à répétition et de plus en plus fort.
"Vous voulez le Roi-Liche ? Il est à portée de main ! Car vous le savez aussi bien que moi, nos éclaireurs ont repéré ce sale petit bâtard en train de regarder avec orgueil ses troupes massacrer nos Croisés et nos villageois ! Nous avons défendu l'Enclave du mieux que nous pouvions, nous avons été pilonnés sur le rivage, nous avons été assailli dans nos propres mines par nos propres paysans. J'ai même vu des dégénérés Chevaliers de la Mort arracher le crâne de nos frères pour façonner un Chaudron de Peste ! Et vous OSEZ insulter la mémoire de nos défunts, et celle de nos actions ?! Je ne dis pas qu'il faille remettre en cause Ses Très Saintes Paroles, Abbendis, loin de là. Mais par l'enfer, pas maintenant ! Frappons Arthas tant qu'il est encore là et conservons notre honneur, ou partons comme des lâches et ressentons la honte pour le restant de nos jours !!"
La générale observa Jadie un moment, hagarde ; et puis elle reprit contenance, très vite. Elle se leva, planta son regard de braise dans celui non moins ardent de la femme paladin... et lui asséna une gifle monumentale de sa main gantée de fer. L'effet fut foudroyant. Pas un cri ne s'était levé. Pas même l'esquisse d'un geste. Les Sœurs restaient stupéfaites devant ce spectacle... à l'exception de Naztrix, qui rongeait les ongles de son autre main sans paraître plus intéressée. La Championne retourna lentement la tête vers une Abbendis furieuse. Mais celle-ci n'ajouta rien. Il n'y avait besoin de rien de plus, de la part de personne. Elles le savaient.
"À vos ordres, Générale, dit la Championne."
Et elle sortit.
Jadie avait levé les yeux vers ce que lui pointait le vieux Marvel. Un ami fermier, particulièrement dévoué à la Très Sainte Croisade, auprès de qui elle passait beaucoup de temps. Elle lui chantait des cantiques tous plus splendides les uns que les autres, et il lui racontait des histoires sur le Lordaeron d'antan. Il habitait l'Enclave depuis que celle-ci avait été construite ; et depuis personne ne l'avait jamais vu manquer une messe, une donation, une Sainte corvée, ni même jurer, blasphémer.
Cependant il était trop vieux pour combattre, et cela, ajouté à son caractère extrêmement doux, faisait se demander aux zélotes ce qu'il pouvait bien faire là. Souvent il avait été questionné car cette humeur paraissait suspicieuse. Mais depuis que Jadie avait été détachée là-bas, personne n'osait plus lui causer quelque souci.
"C'est comme un gros nuage... mais il avance plus vite et contre le vent."
Le soleil aveuglait la Championne. Elle n'arrivait à distinguer qu'une forme vague qui, peu à peu, cachait la lumière. À mesure que cette chose avançait, les cheveux de Jadie se hérissaient, ses dents grinçaient de plus en plus fort et la chair de poule lui parcourait le corps. Elle ne la reconnaissait que trop bien, et pourtant se refusait à l'admettre. Si c'était bien ce qu'elle pensait, alors ils seraient tous perdus.
"Marvel... tu vas rentrer au fort ; tu m'entends ? Barricade-toi entre les murs. Si les gardes te disent quelque chose, dis-leur que c'est moi qui t'envoie."
Elle avait dans la voix une peur farouche. Elle qui d'habitude ne craignait rien, qui avait transmis à ses troupes une foi en la Lumière qui écartait tout doute, toute crainte de la mort et des agents du Fléau, haletait, les yeux écarquillés devant le mastodonte flottant qui s'était immobilisé en l'air. Alors Marvel comprit et s'en alla en courant. Il comprit que si Jadie était morte de frayeur, ce n'était ni pas pour sa vie à elle, ni pour celles des zélotes de la Croisade qui se défendraient jusqu'à la mort. Non ; c'était pour sa vie à lui qu'elle craignait. Il comprit aussi que ce qui flottait juste en-dessus le petit plateau acculé à la montagne -celui qui surplombait la Mine-, c'était une Nécropole.
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Quelques jours avaient passé depuis qu'Achérus, le Fort d'Ébène, s'était déplacé jusqu'à l'Enclave Écarlate. Les Croisés attendaient de pied ferme leurs assaillants, vaillemment apprêtés et préparés à affronter la vermine du Fléau qui en sortirait. Il fallait pourtant que le travail continuât, autrement les défenseurs de la Lumière seraient pris au dépourvu et laissés sans ressources face à l'ennemi ; d'autant que rien n'était pour le moment sorti de la Nécropole. Jadie était des défenseurs. Elle surveillait nuit et jour cette maudite butte, où elle avait détaché des éclaireurs. À chaque heure l'un d'eux venait dans la maison qu'elle occupait -celle de Marvel- pour lui annoncer que rien ne se passait pour le moment. Et elle n'en était que plus inquiète de jour en jour. Quand allaient-ils passer à l'acte ? Étaient-ce des manières que de faire attendre son ennemi de la sorte ? Tout avait été tenté pour faire s'écrouler la Nécropole. Ils était hors de question d'apprêter des griffons -Abbendis refusait obstinément sans que personne sût pourquoi- ; et le bâtiment était bien trop haut pour pouvoir le canarder à coups de canons ou de balistes.
Au bout d'une semaine l'attente était devenue insupportable. Des rumeurs circulaient comme quoi d'autres Nécropoles s'étaient silencieusement avancées, partout en Azeroth ; mais personne n'était sûr de rien attendu que tout contact avec l'extérieur avait été rompu. Rompu pour les troufions, les zélotes et les clercs, oui... mais pour la Générale ? Abbendis était-elle au courant de ce qui se tramait ? Pourquoi s'obstinait-elle à garder le silence ? Et qu'en était-il d'Isilien ? Mystère total. C'est pourquoi elle avait fait mandater du Monastère une alliée précieuse. Un rat de bibliothèque à l'âme sans doute aussi corrompue que sa foi en la Lumière était grande ; mais Jadie la tenait en immense estime. Et puis il fallait reconnaître que ses dons étaient d'une utilité remarquable à la Croisade.
La Championne fut tirée de ses rêveries, en sursaut, lorsqu'on frappa à la porte de son logis. Elle se leva, jeta un bref regard vers le feu -qui lui confirma qu'elle était restée là à somnoler longtemps-, et s'empressa d'ouvrir.
"J'espère ne pas t'avoir trop faite attendre, Sœur Jadie. Mon canasson est mort il y a quelques jours ; moi et mon escorte avons fini la route à pieds..."
C'était son seul bonjour. Elle n'avait pas changé. Peut-être à peine minci, et encore... elle portait toujours cette robe rouge et noire brodée d'or aux épaulières assorties, très elfique -et sans tabard, ce qui lui valait usuellement des regards de travers- ; ce bâton noir avec au bout un joyau rouge sombre, dans lequel se mouvaient des formes obscures ; ce crâne rouge et ricanant, tout cornu qu'il était, pendouillant à sa ceinture. Et cet épais bandeau d'un noir si profond que même la lumière ne se reflétait pas sur le tissu, qui lui couvrait les yeux. Et toujours cette même allure sinistre, entourée d'un mystère...
Son amie avait, pour accentuer cette impression, divers attributs hors du commun. Sous le bandeau, des rainures verdâtres, semblables à des veinules, partaient de ses yeux qui irradiaient une lueur verte. Ses cheveux étaient très longs, mais surtout d'un blanc de neige ; et pourtant elle ne devait avoir que vingt ans. Ses lèvres avaient couleur de sang. Mais surtout et avant tout il émanait de sa personne une aura qui effrayait celui qui ne la connaissait pas -stridente et résonnante, ardente et glacée à la fois. Oui ; Sœur Naztrix sentait la corruption à plein nez et l'on se demandait souvent, à la Croisade, ce que faisait cette créature de l'Ombre à rôder dans la Bibliothèque et l'Anatheum. En vérité, elle était une des plus zélées croyantes de tout le Monastère et ses dons de prescience, aussi cruciaux que rares, lui assuraient de n'être jamais inquiétée par l'Inquisition. C'était elle que Jadie avait faite mander.
"Le reste des Sept Sœurs a été envoyé au port de l'Enclave, Jadie. Tu le savais ? dit-elle en entrant.
-Non, fit la paladin d'un air étonné. Mais vu ce qui se profile à l'horizon, j'aurais préféré qu'elles restent en arrière. Tu l'as senti, n'est-ce pas... peut-être l'as-tu vu avant de venir. Toi la Sainte Naztrix, Haute Presciente de la Croisade Écarlate."
L'air un tantinet joyeux de l'invitée laissa place à son habituel air mystérieux. Pendant que Jadie, accoutumée à ses transes, allait préparer du thé, elle se mit à parler d'une voix d'outre-tombe, pleine de menaces et de lourds présages.
"Ils vont surgir des cieux, les chevaucheurs du Roi sans terre ; et la moisson sera celle des âmes, et la récolte celle des cris. L'os et le fer laisseront à la rune de mort place. Les blés rouges par de mortelles faux seront fauchés, aux luisants bleus écrits. Et tous désespèreront l'impitoyable avancée devant. Le vent de la vengeance soufflera en poupe pour le Nord."
Jadie frémit en servant le thé, que son amie prit le plus naturellement du monde, comme si ce qui venait de se passer était aussi normal que de s'enquérir de la santé de son voisin. Elle n'avait pas tout compris à la prédiction, mais une chose était presque sûre : une mort certaine. Mais quand, par la Lumière, QUAND ! Jadie l'avait hurlé malgré elle et resta interdite. Et puis elle surprit ce sourire cynique au coin de la bouche de Naztrix. Humpf... il ne faudrait pas s'attendre à ce que son hérétique d'amie en dise plus. Si elle ne l'avait pas dit durant sa transe, c'est que la Sainte Lumière ne le lui avait pas fait savoir. Il ne lui restait plus que l'option de l'attente frustrée que l'ennemi vînt les cueillir comme des pâquerettes.
Il se passa un petit moment, quelques heures, durant lesquelles les deux Saintes conversèrent de tout et de rien. Des nouvelles du Monastère et de la Main de Tyr, de la Sainte Lumière, de leur foi, d'anecdotes amusantes qui ne manquaient pas dans un ordre aussi strict. Et surtout, elles prièrent et chantèrent longtemps. Et finalement Jadie demanda des nouvelles d'Azeroth.
"De mal en pis. Les rumeurs qui circulent ici sont vraies. Le Roi sans terres a envoyé ses Nécropoles en Azeroth et Frère Anton confirme en avoir vue en Kalimdor. Mais il y a pire, Jadie ; annonça gravement Naztrix devant la mine déconfite de la paladin. Il a fait envoyer des cargaisons de blé partout, comme auparavant..."
Jadie lui fit signe de s'interrompre. C'en était trop. Elle connaissait la suite par avance : l'Histoire se répétait ; elle ne voulait pas s'en rappeler.
"Mais cette fois, hasarda la Presciente, il y a un espoir. L'épidémie se propage à une vitesse folle, mais un antidote est en train d'être mis au point !"
Mis au point par ce chien galeux de Réprouvé dont elle avait oublié le nom. Elle n'eut pas le temps d'ajouter ce fait qui de toute manière n'aurait fait qu'énerver Jadie... car dehors des hurlements se firent entendre. Jadie se rua vers la fenêtre, puis courut à l'étage. Naxtriz, elle, finit tranquillement son thé, repassa les plis de sa robe d'un revers de main, épousseta le crâne à sa ceinture et rajusta son bandeau ; le tout avec un sourire froid et les gestes les plus lents du monde. Sa sœur d'armes quant à elle descendit en trombes, apprêtée pour le combat et l'armure mal attachée ; et les deux sortirent.
Ils avaient surgi des cieux, les chevaucheurs du Roi sans terres.
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Jadie restait bouche bée, partagée entre incompréhension, rage, et respect. Comment Abbendis pouvait-elle... ordonner cela ? Elle avait demandé une audience en privé, avec ses Sœurs lorsque la nouvelle lui avait été annoncée, une heure plus tôt, lors du grand rassemblement des meilleurs Croisés sur le rivage. Elle avait alors le cœur lourd de reproches et de révolte, mais à présent, face à cette incarnation vivante de l'autorité et de la discipline, elle ne savait plus comment s'y prendre alors qu'Abbendis renouvelait devant elle et ses Sœurs sa décision de quitter Lordaeron pour porter la guerre en Norfendre. Au beau milieu de la bataille."Enfin, vous ne pouvez pas... commença Sœur Iulie, la prêtresse. Iulie était si sensible, si douce, qu'elle menaçait de fondre en larmes devant une telle décision. Vous ne pouvez pas abandonner nos hommes lorsqu'ils ont le plus besoin de nous, ma Dame...
-Nous n'abandonnons personne, coupa sèchement la générale. Nous n'allons que frapper au cœur du problème.
-Si nous analysons clairement et froidement la situation, il apparaît clair que nous aurions une chance de repousser la Nécropole si nous restions unis, enchaîna Sœur Katrana. Mais si vous privez la Nouvelle-Avalon de ses meilleurs éléments, il apparaît clair que nos frères vont tous mourir. Voire même grossir les rans du Fléau de Lordaeron, et éventuellement faire tomber la Main de Tyr.
-Il suffit. Je n'entends pas m'expliquer. La Sainte Lumière me parle, et elle m'a ordonné de faire voile au Norfendre. Ni vous, ni moi, n'avez à remettre Ses ordres en question."
Toutes se tournèrent vers Naztrix, qui "regardait" distraitement ses ongles. Elle ne semblait aucunement intéressée par la conversation, faisant mine de n'avoir rien entendu et de ne pas sentir le poids des regards sur elle. Enfin Jadie se retourna vers sa supérieure, et commença à parler lentement, en s'efforçant de maîtriser le flot d'émotions contradictoire qui jaillissait en elle.
"Ma générale... je... suis choquée. Je ne nie pas la nécessité d'obéir aux ordres, directs qui plus est, de la Sainte Lumière, mais...
-Suffit, Championne. Vous me suivrez. Un point c'est tout."
C'en fut trop. Jadie se leva de son siège et frappa violemment du poing sur la table, à tel point que l'encrier et la plume tombèrent au sol. Et elle se mit à hurler.
"Vous allez m'écouter, Abbendis ! Ce que vous nous demandez est une HONTE pour une guerrière telle que vous ! Vous nous demandez d'abandonner nos frères au cœur du combat ! Vous nous demandez d'abandonner notre terre natale alors qu'elle est le plus gravement menacée !"
Abbendis regardait Jadie, animée par un feu qui venait de déborder. Consternée. Et celle-ci redoublait d'ardeur, frappant sur la table à répétition et de plus en plus fort.
"Vous voulez le Roi-Liche ? Il est à portée de main ! Car vous le savez aussi bien que moi, nos éclaireurs ont repéré ce sale petit bâtard en train de regarder avec orgueil ses troupes massacrer nos Croisés et nos villageois ! Nous avons défendu l'Enclave du mieux que nous pouvions, nous avons été pilonnés sur le rivage, nous avons été assailli dans nos propres mines par nos propres paysans. J'ai même vu des dégénérés Chevaliers de la Mort arracher le crâne de nos frères pour façonner un Chaudron de Peste ! Et vous OSEZ insulter la mémoire de nos défunts, et celle de nos actions ?! Je ne dis pas qu'il faille remettre en cause Ses Très Saintes Paroles, Abbendis, loin de là. Mais par l'enfer, pas maintenant ! Frappons Arthas tant qu'il est encore là et conservons notre honneur, ou partons comme des lâches et ressentons la honte pour le restant de nos jours !!"
La générale observa Jadie un moment, hagarde ; et puis elle reprit contenance, très vite. Elle se leva, planta son regard de braise dans celui non moins ardent de la femme paladin... et lui asséna une gifle monumentale de sa main gantée de fer. L'effet fut foudroyant. Pas un cri ne s'était levé. Pas même l'esquisse d'un geste. Les Sœurs restaient stupéfaites devant ce spectacle... à l'exception de Naztrix, qui rongeait les ongles de son autre main sans paraître plus intéressée. La Championne retourna lentement la tête vers une Abbendis furieuse. Mais celle-ci n'ajouta rien. Il n'y avait besoin de rien de plus, de la part de personne. Elles le savaient.
"À vos ordres, Générale, dit la Championne."
Et elle sortit.
Jadie- Modérateur
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